Le chausson aux pommes
Charles et sa soeur Émilie vivent avec leurs parents dans une maison blanche, entourée d'un petit jardin, tout au bout du village. Charles est un garçon plein d'entrain, aux yeux bruns et aux boucles sombres. Émilie a quelques années de moins que lui; elle ne va pas encore à l'école.
Une belle matinée d'été, les enfants sont sortis de bonne heure s'ébattre dans la forêt et dans les prés. Ils jouent à cache-cache, essaient d'attraper des papillons, grimpent sur les troncs d'arbres abattus, jusqu'au moment du petit déjeuner.
Au portail du jardin, ils trouvent Tom, le garçon de courses du boulanger, avec une grosse boîte qu'il porte précautionneusement.
- Qu'est-ce que tu apportes, demande Charles. C'est pour qui?
- C'est un grand chausson aux pommes, et je dois le livrer chez vous.
- Ah, je sais! s'exclame Émilie, maman l'a sûrement commandé pour le souper! Oncle Georges et tante Marie viennent ce soir, et c'est pourquoi il y a un chausson aux pommes. Tu entends, Charles?
- Oui, mais on ne nous permettra pas de manger avec eux. Tom, montre-nous le chausson, s'il te plaît.
Mais Tom secoue la tête et se dirige vers la maison.
Les enfants le suivent du regard. Ils savent pourtant bien que maman leur gardera à la cuisine leur part du dessert.
Charles a une idée. Il saisit Émilie par la main et l'entraîne vers la fenêtre du garde-manger. Là, dressés sur la pointe des pieds, les deux enfants voient encore juste Suzanne, l'aide ménagère, venir poser la pâtisserie sur la table placée sous la fenêtre, puis s'en aller après avoir fermé la porte derrière elle.
- Oh! Émilie, il a l'air fameusement bon celui-ci!
Pour le cas où il n'en resterait pas pour nous, nous allons pouvoir au moins le manger des yeux bien tranquillement.
Sur ces paroles, il court vers le garage et en revient avec quelques briques qu'il met les unes sur les autres avant de grimper dessus. Il peut ainsi mieux voir le chausson aux pommes. Il parvient même à ouvrir toute grande la fenêtre qui n'est pas bien fermée, et à toucher le gâteau.
- Qu'il sent bon, dit-il en se léchant les doigts, - et quel goût!
- Je veux aussi en avoir un peu, réclame Émilie.
- Tu sais, Émilie, ce chausson est le meilleur de tous. Il doit y avoir une masse de pommes dedans. Si nous en prenons un tout petit peu, personne n'y verra rien. Il y a une cuillère là tout près; j'arrive juste à l'attraper. Avec mon couteau, je peux faire une petite ouverture dans la croûte, puis on puisera un peu de l'intérieur avec la cuillère.
- Tu es bien sûr que cela ne se verra pas? demande Émilie, pas très tranquille.
- Oui, oui! Je fais attention.Et le voilà déjà qui fourre une cuillerée bien pleine dans la bouche d'Émilie, avant d'en remplir une pour lui. Et c'est si bon, si doux, qu'il plonge une troisième fois la cuillère, puis une quatrième fois, et encore... jusqu'à ce qu'enfin le chausson soit entièrement vide, qu'il ne reste plus que la croûte.
Mais alors les enfants se sentent soudain un peu mal à l'aise. Extérieurement, le chausson n'a pas changé d'apparence, mais... quand on le coupera!? Vite ils enlèvent les briques et ils rentrent dans la maison. Ils ne jouissent pas beaucoup de leur déjeuner et pour une fois, Charles est très pressé de partir à l'école.
Ce matin, Émilie est particulièrement sage et serviable avec maman, qui la félicite avant de l'envoyer jouer dehors. Mais les compliments de maman pèsent à Émilie et elle n'a pas envie de jouer. Elle s'assied sur la balançoire et essaie de ne penser ni au chausson aux pommes ni au souper.
À son retour de l'école, Charles n'est pas aussi entrain que d'habitude. Il ne reste plus que trois heures jusqu'au souper ... plus que deux heures. Ah! que le temps passe vite! La seule consolation des enfants est la pensée qu'ils seront au lit lorsqu'on apportera le chausson sur la table.
Mais, oh, horreur! voilà que, sur la demande de tante Marie, maman permet aux deux petits de souper avec eux. À table, ils ont l'impression d'être assis sur des charbons ardents. Et lorsque, au dessert, le moment de couper le chausson arrive et que les adultes constatent avec stupéfaction qu'il est vide, la pauvre Émilie ne sait plus où regarder.
- Curieux! remarque papa en examinant le gâteau de tous les côtés.
- Serait-ce un oubli de la part du boulanger? s'étonne maman.
Et tous les deux contemplent le chausson sans bien savoir qu'en penser. Ils sont d'autant plus ennuyés qu'ils ont des invités. Papa a de la peine à cacher sa contrariété et maman est très confuse.
- Serait-ce le garçon de notre boulanger qui a fait ce tour? suggère papa. Tom a voulu peut-être goûter le chausson.
Émilie et Charles ne soufflent pas un mot; c'est tout juste s'ils osent encore respirer. Furtivement leurs regards vont du gâteau à leurs parents. Maintenant que le nom de Tom a été prononcé, est-ce que tout ne va pas s'arranger pour eux? Leurs craintes vont-elles s'apaiser?
- Ne parlons plus de cela; la table est bien garnie et j'espère que cette mésaventure ne va pas vous empêcher de bien vous servir, dit papa à l'adresse de ses hôtes. Mais il n'est pas difficile de voir qu'il est très mécontent.
Plus tard, à l'heure du coucher, Charles et Émilie embrassent leurs parents et filent dans leurs lits; mais ni l'un ni l'autre ne parvient à s'endormir. Émilie se tourne et se retourne, très agitée, et malheureuse. Elle ne peut pas penser à autre chose qu'au chausson et à la punition méritée. Et elle pense aussi à Tom. Papa et maman ont bien l'air de croire que c'est lui le fautif. Alors qu'au fond, le seul responsable, c'est Charles. N'est-ce pas lui le premier qui a été regardé dans le garde-manger? N'est-ce pas lui qui est allé chercher les briques et qui les a empilées sous la fenêtre? Et c'est aussi lui qui a goûté le premier; lui encore qui l'a poussée à en prendre. Pourquoi alors se tourmenter? D'ailleurs tout semble s'être bien arrangé. Et pourtant - est-ce que tout est vraiment clair?
En pensant à toute cette affaire, Émilie est bien obligée de reconnaître qu'elle n'est pas tout à fait innocente. Pour la première fois, elle découvre ce que c'est qu'avoir mauvaise conscience. Pour la première fois, elle comprend qu'elle a mal agi, qu'elle a péché. Et elle reconnaît aussi que si elle continue à se taire, si elle persiste à cacher sa faute, elle se sentira de plus en plus misérable. « Ce que j'ai fait, moi aussi, est mal. Et j'ai caché la vérité. Parce que je n'ai rien dit, c'est le pauvre Tom qui est soupçonné. Mais - Dieu a tout vu. Dieu me voit. j'ai aussi péché contre lui! »
Émilie est en larmes. Elle se sent de plus en plus malheureuse. « Ah! si toute cette vilaine affaire pouvait être finie! » Comment s'en sortir?
Et voilà qu'elle repense tout à coup à un verset de la Bible. Papa l'avait lu une fois après le repas et il avait essayé de l'expliquer à ses deux enfants. C'est un verset de la première épître de Jean; il dit:
« Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité. »
Ne serait-ce pas le chemin à suivre? Émilie réfléchit longuement. Elle sait qu'elle a mal agi. Elle sait aussi que par là elle a péché contre Dieu. Et maintenant, elle comprend que Dieu, dans son amour, veut la délivrer - à condition qu'elle regrette ce qu'elle a fait et le Lui confesse. Elle joint les mains pour prier. Mais elle a l'impression que quelque chose ne va pas. De nouveau elle réfléchit et tout à coup elle réalise qu'il lui faut d'abord dire la vérité à son papa et à sa maman.
Elle se glisse hors de son lit, enfile sa robe de chambre et sort dans l'obscurité dans le corridor. Là elle pousse presque un cri en se heurtant à quelqu'un. C'est Charles. Lui aussi se dirige vers la chambre de ses parents!
Les deux enfants passent une longue heure avec leurs parents, une heure bénie pour Charles et Émilie. Finalement ils s'agenouillent tous les quatre, confessent à Dieu ce qui pèse si lourdement sur la conscience des enfants qui savent alors qu'ils sont pardonnés et purifiés selon la promesse de Dieu. Leur prière est exaucée. Tout est maintenant parfaitement en ordre.