Sauvé d'une noyade
La voiture roulait sans heurt et ses occupants causaient avec animation, faisant parfois quelques parties de jeux instructifs ou jouissant simplement de la beauté du paysage.
Il s'agissait d'un groupe de jeunes gens en route vers le camp où ils allaient passer une dizaine de jours en vacances. Leur chauffeur et moniteur, M. Serre, souriait de temps en temps en entendant leurs plaisanteries et les plans gigantesques que quelques-uns imaginaient pour leur avenir.
« Oh! combien j'aimerais avoir de nouveau leur âge! » songeait-il, quand, tout à coup, une voiture déboucha sur sa droite et interrompit sa rêverie.
Le grincement des freins et des pneus, et l'arrêt brutal de l'automobile firent brusquement cesser les conversations. Le choc paraissait inévitable. Pourtant, contre toute attente, il n'en fut rien et les deux voitures s'immobilisèrent à quelques centimètres l'une de l'autre.
- Êtes-vous blessé? demanda M. Serre au conducteur de l'autre voiture, à travers sa vitre ouverte.
- Non, seulement un peu secoué. Et de votre côté, comment ça va?
- Oh! nous en sommes quittes pour la peur. Il n'y a rien de cassé, et nous pouvons rendre grâces à Dieu de nous avoir protégés.
Et saluant de la main, M. Serre manoeuvra sa voiture pour reprendre la route, et ne tarda pas à s'éloigner.
Bientôt s'engagea entre les jeunes gens une vive discussion sur le sujet: Qui était responsable de cet accident « presque fatal »? Finalement, les avis furent unanimes, car l'autre conducteur n'avait pas respecté le signal « Stop » placé au bord de la route principale juste avant le carrefour.
Peu après, alors que les jeunes gens parlaient encore avec animation, M. Serre leur demanda:
- Voulez-vous savoir ce que j'en pense?
- Bien sûr, fut la réponse qui lui parvint en choeur.
- Eh bien, je crois qu'un ange a empêché l'autre voiture de nous emboutir, parce qu'avant de partir nous avons demandé à Dieu qu'il envoie son ange pour nous accompagner.
Le silence régna quelques secondes après ces paroles, puis un des garçons posa la question qui brûlait les lèvres de tous.
- Vous croyez aux anges, monsieur Serre?
- Y croyez-vous vraiment? insista un autre.
- Oui, je crois aux anges, dit M. Serre d'un ton sérieux, et si vous cessez de bavarder un moment, je vais vous dire pourquoi.
- Oh! chic, une histoire, dit Paul laissant fuser un petit rire ravi.
- Nous sommes prêts, conclut Jean-Jacques.
- À l'âge de 17 ans, commença M. Serre, je voulais à tout prix aller à l'université, comme le désirent en général les jeunes gens qui sortent des écoles secondaires. Mes parents ne pouvaient subvenir aux frais de mon écolage, mais un oncle m'offrit du travail chez lui, tout près d'un collège adventiste.
» Naturellement, j'en étais enchanté, mais mes parents considéraient que la distance était trop grande entre la ville où nous habitions et l'endroit où était situé le collège. Cependant, ils me donnèrent leur consentement, mais ne se résignaient guère à la séparation.
» Un jour - environ une semaine avant la date où je devais partir pour le collège - un groupe d'amis, mes parents et moi-même décidâmes de faire un pique-nique et d'aller nager dans le lac qui se trouvait près de là. L'après-midi passa agréablement et nous nous sentions en grande forme grâce à l'air vif de la montagne. Juste avant le souper, quatre d'entre nous décidèrent de faire un dernier plongeon et de nager encore un peu. Les autres descendirent aussi au bord de l'eau pour voir les prouesses que nous, les quatre nageurs, ne manquerions pas d'essayer de faire.
» Nous partîmes vers le lac en nous poursuivant et en jouant "à chat". Au moment où j'arrivais au bord de l'eau, je vis que le garçon qui était "le chat" à cet instant était tout près de moi, et, pour l'éviter, je plongeai en profondeur. J'avais fait bien des fois de tels plongeons, et quoique je ne sois pas un champion, je n'avais jamais eu de difficulté à revenir à la surface. Mais ce jour-là, il n'en fut pas ainsi. Je me sentis happé vers le fond et vers le milieu du lac. C'était une sensation horrible, et je n'ai pas honte de reconnaître mon épouvante. Lorsque je reparus à la surface, mes amis remarquèrent l'expression de panique qui se peignait sur mon visage, et Raphaël, un de mes camarades, se jeta à l'eau pour venir à mon secours. Mais il lui arriva la même chose qu'à moi, ce qu'il décrivit plus tard comme "une sensation d'être aspiré vers la profondeur du lac".
» De nouveau attiré vers le fond, j'essayai tous les trucs que je connaissais pour revenir à la surface, et lorsque, au bout d'un moment, j'émergeai de l'eau, je criai de toute la force de mes poumons: "Au secours!" ; et de nouveau je coulai. C'est tout ce que je me rappelle; le reste est embrouillé dans ma mémoire. Ce ne fut, en effet, que quelques heures plus tard que j'appris que Raphaël s'était enfoncé, comme moi, trois fois. Cependant, un membre de notre groupe avait pu l'agripper, car il n'avait pas été entraîné aussi loin que moi vers le centre du lac.
» J'appris également qu'un homme, dont on ne connut jamais l'identité, était venu du centre du lac, en me ramenant avec lui. Il me déposa sur la berge sablonneuse; il entreprit la respiration artificielle, et la continua jusqu'à ce que j'aie repris connaissance. »
- Est-ce que votre ami en réchappa? voulut savoir Paul.
- Oui, lui, il n'avait pas perdu connaissance, mais il fut malade pendant quelque temps parce qu'il avait avalé beaucoup d'eau.
- Qui était l'inconnu qui vous a ramené au rivage, monsieur Serre? demanda Jean-Jacques.
- C'est bien là le mystère. Lorsque je commençai à respirer normalement, il s'en alla tout simplement, sans que personne ne se souvienne de l'avoir vu partir. Mes parents regrettaient beaucoup de l'avoir laissé s'éloigner sans le remercier. Alors, mes amis se dispersèrent et se mirent à le chercher parmi les divers groupes formés au bord du lac. Maman et moi restâmes à les attendre dans la voiture, car j'étais encore malade et faible. Tout le monde essaya de trouver l'homme qui venait de sauver un adolescent, mais personne ne le connaissait ou savait quelque chose à son sujet.
» Un témoin que l'on interrogeait fit cette remarque: "Ce que je ne puis m'expliquer, c'est d'où vint cet homme. Personne à ma connaissance ne se met à nager de droite à gauche au milieu du lac; et pourtant c'est de là qu'il vint, je l'ai vu." »
- Moi je dis que c'était un ange, dit Paul avec respect.
- C'est ce que nous avons toujours cru, mes parents et moi, et nous continuerons à le croire, répondit M. Serre, qui ajouta: Et savez-vous encore une chose?
- Non, quoi? demandèrent tous les garçons en même temps.
- Après cela, mes parents n'ont plus fait d'objection à mon départ pour le collège. Tout ce qu'a dit ma mère fut: "Dieu t'a sauvé, tu dois aller où il désire que tu te rendes."
» Quelques années plus tard, lorsque j'ai dû partir en Afrique comme missionnaire, mes parents ne s'opposèrent pas non plus à ce départ. Ils savaient que les anges nous protègent en Afrique tout aussi bien que dans notre pays. »
- Monsieur Serre, dit un des garçons, j'aime beaucoup votre histoire. J'avais toujours pensé que croire aux anges avait quelque chose d'enfantin, mais en réfléchissant sur votre expérience, et sur ce qui nous est arrivé aujourd'hui, je vois combien nous avons besoin de l'aide qu'ils nous offrent et comme nous devons en être reconnaissants.
- Je ne voudrais certainement pas en être privé, répondit M. Serre en hochant la tête.
- Moi non plus, ajouta chacun des autres occupants de la voiture.
Et vous, mes petits amis?