Ce que Christian trouva
Christian était riche, puisque son père l'était. Il habitait une immense propriété comportant une ferme modèle. Veaux, cabris, agneaux, chats et chiens - que de compagnons il avait! Sans compter les poneys sur le dos desquels il faisait de merveilleuses randonnées. Sa chambre était pleine de jouets coûteux, ses armoires regorgeaient de vêtements. C'était vraiment un enfant gâté, et qui devenait chaque année plus fier et plus arrogant.
Un jour qu'il jouait avec son chien, un garçon à la figure avenante se présenta à la porte de la ferme. Il tenait un seau à la main.
- Voulez-vous m'acheter de belles mûres? demanda-t-il. Christian regarda avec mépris le chapeau de paille fanée, les pantalons trop grands et rapiécés, la chemise sans boutons.
- Veux-tu bien te sauver! dit-il horrifié. Nous pouvons acheter toutes les mûres que nous voulons, et à des marchands honnêtes.
L'enfant était rouge, il était resté très longtemps au soleil.
- S'il vous plaît, pourrais-je boire un peu d'eau? Puisque vous êtes si riche, vous pouvez bien me donner un verre d'eau?
- Nous n'avons rien à gaspiller! Va-t'en, je te dis, ou je lance mon chien après toi.
Le garçon partit, tête basse. Christian le regarda un moment, et se dit qu'il serait amusant d'aller lui-même cueillir des mûres. Il croyait connaître un endroit...
Effectivement, après s'être promené un moment, un seau à la main, il aperçut la margelle d'un puits abandonné et, au-delà de cette margelle, un buisson de baies brillantes et noires. Présomptueux comme il l'était, il se sentit certain de pouvoir sauter d'un bond par-dessus l'orifice. Il prit donc son élan... Hélas! l'élan était insuffisant, le bond trop court, le voilà tombé dans ce puits à demi-comblé dont le fond est rempli de vase. Les parois sont trop lisses, trop gluantes pour qu'il y trouve prise. Quoi que la margelle semble presque à portée, il lui est impossible de l'atteindre. Il frissonne à la pensée de passer là toute la nuit. L'endroit est désert, en effet, et qui entendra ses cris? Il commence à claquer des dents, et pour s'en empêcher, crie de plus belle.
Tout à coup, quelque chose apparaît à l'entrée du puits, il le distingue mal, parce que le soleil l'éblouit. Ah! c'est le vieux chapeau plein de trous, et, dessous, il distingue un bon sourire. C'est le garçon aux mûres! Sans un mot, ce dernier se penche tant qu'il peut, tend les mains, et en quelques instants voilà Christian hors du puits. Dans quel état! Le petit vagabond semble un bijou à côté de lui! Il est des pieds à la tête enduit d'une fange nauséabonde. Pouah!
- Je te dois combien? dit-il à l'enfant. Attends, j'ai de l'argent quelque part.
- Je ne veux rien de vous! Mais c'est une chance que je sois revenu par ici pour finir de remplir mon seau. Sinon!
- Ah! je sais bien! dit Christian. Il faut que j'aille me changer. Tiens, j'ai perdu un soulier. Viens à la maison tout à l'heure!
- Vous ne lâcherez pas votre chien après moi?
Christian baisse la tête.
- Jamais, jamais, dit-il. Surtout, viens!
Ce fut une grande fête pour les deux garçons, car la maman de Christian sut montrer, avec délicatesse, toute sa reconnaissance. Ils mangèrent d'exquis gâteaux, mais surtout Christian prit en amitié le petit vendeur de mûres. Tous deux coururent dans les prés, jouèrent avec les chiens et les poneys, donnèrent du grain aux poulets. Christian n'avait jamais été aussi heureux.
- Cela valait la peine, dit-il, de tomber dans ce vieux puits.
J'y ai appris une bonne leçon et j'y ai trouvé un ami.