Si, Senor


- Eh bien, comment la journée s'est-elle passée à l'école? demanda Mme Martin à son fils Patrick qui posait d'un air fatigué son cartable sur une chaise.

- J'ai un nouveau voisin de table, il s'appelle Pedro! Moi, il me plaît assez, mais les autres se moquent de lui parce qu'il ne parle pas comme nous.

- Il a donc un accent particulier?

- Non, ce n'est pas tout à fait cela. Il voudrait se faire comprendre, mais il n'y arrive pas. Ses parents sont espagnols.

- Ah! je vois! Comme c'est méchant de se moquer de lui!

Imagine que tous les garçons de ta classe se trouvent un jour transportés dans un pays où on ne parle que l'espagnol! Les enfants apprennent très vite les langues étrangères, et avant peu ce Pedro s'exprimera correctement.

- C'est ce que je leur ai dit. Et sais-tu ce qu'ils m'ont répondu: « Si, senor! »

Le lendemain, Mme Martin demanda à Patrick des nouvelles du jeune étranger.

- Il a joué au ballon avec nous, et il joue rudement bien, répondit le garçon. Mais il écorche tous les mots, et les garçons l'imitent. Puis ils ajoutent: « Si senor! » en éclatant de rire. Comme si c'était malin! Tu penses bien qu'il n'est pas à la fête!

- Tu pourrais l'inviter à venir jouer avec toi jeudi prochain.

Il comprendrait qu'il a au moins un ami.

- Quelle bonne idée! dit Patrick.

C'était vraiment très drôle d'entendre le garçon parler. Des mots espagnols surgissaient constamment dans ses phrases embarrassées. Pour demander de l'eau, il disait: aqua.

- Comment dis-tu: eau ? demanda Patrick intéressé.

- Agua.

Et: lait?

- Leche.

- Eau: agzza. Lait: leclie. Dis donc, tu devrais bien m'apprendre l'espagnol.

Pedro avait très bien compris, et manifesta son étonnement.

Mais madame Martin approuva chaleureusement son fils. Rien n'est en effet plus précieux que la connaissance d'une langue étrangère, déclara-t-elle. Il fut convenu que le jeune garçon viendrait deux soirs par semaine jouer et converser une heure on deux avec Patrick, outre l'après-midi du jeudi.

Mais il arriva ceci: quand, dans la cour de récréation, les antres garçons s'aperçurent que Patrick pouvait non seulement dire « Si senor! » comme un véritable Espagnol, mais bien d'autres mots encore, l'envie leur prit de ne pas rester en arrière. Pedro, qui faisait de très rapides progrès en français, s'aperçut que l'attitude générale avait bien changé à son égard! Et quand Patrick lui demanda s'il voulait donner une véritable leçon collective chez lui, le jeudi après-midi, il eut un sourire radieux. Lui, que l'on avait traité comme un ignorant, presque un paria, il se sentait maintenant un professeur!