Des sons dans la nuit


Jacques ferma son livre et dit en regardant son père:

- S'il te plaît, papa, est-ce que Robert et moi ne pourrions pas coucher dehors cette nuit, comme les garçons de mon histoire? Il fait si chaud!

Papa se gratta la tête d'un air rêveur.

- Il me semble, dit-il, que les garçons de « ton » histoire devaient être plus âgés que ton frère et toi. Vous êtes un peu jeunes pour dormir tout seuls dehors. Vous pourriez avoir peur.

- Peur! s'exclama Jacques. Mais de quoi? Que veux-tu qu'il nous arriver?

- Oui, je sais bien, concéda le papa, que dans l'enceinte de la ferme vous ne courez aucun danger. Mais tout est parfois si étrange, la nuit. Des ombres, des bruits que vous ne reconnaîtrez pas.

- Oh! j'aime les bruits de la nuit! insista Jacques.

- Papa, je t'en prie, laisse-nous aller, supplia Robert.

- Eh bien, dit le père, c'est entendu! Ne vous éloignez pas trop, pour pouvoir rentrer vite si cela ne va pas. Il me semble que vous ne seriez pas mal sous l'érable.

- Mais nous ne rentrerons pas! plastronna Jacques, qui était l'aîné. N'est-ce pas, Robert?

Après le souper, les garçons prirent leurs matelas pneumatiques et leurs couvertures, et s'installèrent.

- C'est drôle, hein? dit Jacques en cherchant une position confortable.

- Épatant, dit Robert. Oh! le sale moustique! Et il se tapa la joue.

- C'est parce qu'il fait encore un peu clair. Bientôt ils vont dormir, eux aussi. Allons, bonne nuit, vieux!

Ils pouvaient encore voir des lumières dans la maison. La cuisine où maman finissait de ranger, puis les fenêtres d'une chambre, au premier, s'allumèrent. Robert avait espéré que maman viendrait encore dire un petit bonsoir, mais non, ils étaient grands, ils n'avaient plus qu'à s'endormir.

La nuit était tout à fait venue. Et dans l'ombre un frôlement les fit sursauter. D'une main tremblante, Jacques chercha sa lampe électrique, ne la trouva pas, et pendant ce temps quelque chose d'humide se posait snr sa joue.

- Wou wou, grogna l'énorme chose.

- Médor! Tu m'as fait peur! Tu viens dormir avec nous?

Oh! comme c'est gentil!

On entendit la queue du chien remuer vivement, et une fois encore, son museau humide caressa leurs joues. Puis il poussa un soupir de chien et s'endormit près de ses jeunes maîtres.

Ceux-ci avaient déjà refermé les yeux quand un criquet se mit à chanter sous leur nez, de sorte qu'ils furent à nouveau complètement éveillés. Pourtant Robert finit par s'endormir, et Jacques se sentit encore plus seul. Il se retourna, essayant de trouver une position plus confortable, quand il entendit non loin de lui des pas pesants. Peu à peu, ces pas se rapprochaient. Le garçon essayait désespérément d'allumer sa torche, mais comble de malheur, la pile était usée, et rien ne jaillit! Terrorisé par l'approche des pas, il sentait ses cheveux se dresser sur sa tête... Il se mit sur son séant, et secoua son frère pour l'éveiller. Mais celui-ci se contenta de grogner dans son sommeil. Jacques alors bondit sur ses pieds, et à ce moment Nora, la bonne vache noire, dit « Meuh! », très fort, de l'autre côté de la barrière. Jacques retomba sur son matelas. Vraiment, papa avait raison, tous les bruits sont effrayants, la nuit. Il décida de ne plus avoir peur et parvenait presque à s'endormir, quand un sinistre hurlement perça le silence. Cette fois, il réussit à éveiller son frère.

- Tu entends ça? Qu'est-ce que c'est? Robert se mit à claquer des dents.

- Allons à la maison, allons à la maison!

À tâtons, ils se dirigeaient vers le perron quand une voix les arrêta, la voix si réconfortante de leur papa.

- Je savais bien que vous seriez intrigués. Mais c'est seulement le hibou qui s'ennuie et appelle sa compagne.

Il s'assit sur les marches, et entoura de ses bras les deux enfants jusqu'à ce qu'ils se fussent calmés. Puis il leur demanda:

- Est-ce que nous rentrons, ou est-ce que je vais coucher dehors avec vous?

- Papa, viens avec nous, viens avec nous!

Tous trois s'installèrent aussi confortablement que possible, le père entre ses deux garçons.

Heureux, tranquille, Jacques écoutait maintenant les bruits de la nuit. Nora mâchait son herbe, une grenouille coassait, les criquets stridulaient, et, tout à coup, le hibou reprit son sinistre hululement. Jacques se blottit plus près de son papa.

- Je n'ai pas peur quand tu es là, murmura-t-il. Et puis maintenant je sais d'où viennent les bruits.

- Vois-tu, dit le papa, il te faut également penser que Dieu, qui est ton Père céleste, est aussi toujours près de toi.

- Oui, dit Bobby. Quand nous ne savons pas d'où les bruits viennent, lui, il le sait.

- Maintenant, garçons, dormez pour de bon, car cette fois il est tard.

C'est l'aurore qui les éveilla.