Nanette est assez grande


Nanette, assise sur le perron, entendait sa grande soeur parler avec une de ses camarades du prochain camp des cadets.

- Je voudrais bien y aller aussi, dit-elle.

Sa soeur se mit à rire.

- Mais tu n'es pas assez grande! Il faut avoir douze ans et tu n'en as que huit!

Les yeux de Nanette se remplirent de larmes.

- Tu n'as pas besoin de rire. Je suis grande, maintenant! Puis elle se rendit au jardin où se trouvait son père.

- Papa, est-ce que je suis vraiment trop petite?

- Petite, pourquoi, Nanette?

- Pour aller camper avec les cadets?

- Oui, je le crains. Tu n'as pas encore l'âge. Mais je suis sûr que tu es assez grande pour m'aider à sarcler les carottes.

Nanette aimait travailler avec son père dans le jardin. Il lui parlait comme à une grande personne, lui racontait un tas de choses intéressantes.

- Voyons, où sont les carottes, papa? Ces petites feuilles qui ont l'air de plumes?

- Tiens, tu t'en souviens depuis l'année dernière? C'est bien. Quand ils eurent fini de sarcler les carottes, papa s'apprêta à tondre la pelouse et Nanette le suivit. Comme ils passaient devant la tonnelle chargée de roses, papa dit:

- Je me demande qui serait assez grand pour savoir ce que nous pourrions faire de tout ce surplus de roses!

Nanette se mit à réfléchir... Soudain elle dit:

- Je sais ce que nous pourrions faire, et ce serait très bien.

Daniel a été malade longtemps. Il ne peut pas encore sortir pour voir les roses. Je pourrais lui en porter.

- C'est une excellente idée, dit Papa. Et par la même occasion, cueille donc aussi un bouquet pour maman.

Armée du sécateur, Nanette composa d'abord un beau bouquet de roses thé pour Daniel. Elle choisit surtout des boutons, qui sont d'un or plus foncé. Elle monta la rue pour aller le porter à son camarade. La maman de celui-ci l'accueillit sur la porte.

- Quelles jolies roses, dit-elle. Vas-tu les porter à Daniel? Il est si fatigué de rester au lit par ce beau temps! Va le voir, et moi j'apporte tout de suite un vase.

Nanette passa sa tête blonde par la porte entrebâillée.

- Coucou! dit-elle. Je t'ai apporté des boutons de rose.

- Oh! dit-il, ça sent bon! Je serai rudement content quand je pourrai de nouveau sortir. Tiens, je m'ennuie, veux-tu jouer avec moi au pendu?

- Mais bien sûr, dit Nanette.

Une heure s'écoula très vite, et Daniel remercia de tout son coeur la gentille Nanette pour sa visite et ses roses.

Retournant à la tonnelle, elle fit un autre bouquet, pour sa maman cette fois. Celle-ci fut enchantée.

- J'avais bien envie de roses pour la table du salon, mais je n'avais vraiment pas le temps de les cueillir. Tu es un vrai petit chou!

- Est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider, maman?

- Tu vois, je prépare le souper.

- Alors je peux jeter les épluchures de pommes de terre à la poubelle, et mettre la table?

- Bien sûr, ma petite chérie.

Ainsi Nanette s'affaira jusqu'au moment du repas, puis elle aida sa mère à débarrasser la table. Jeanne était dans la cuisine, grommelant parce qu'elle devait essuyer la vaisselle. Nanette lui prit le torchon des mains.

- Si tu grognes, laisse-moi faire. Je veux aider maman. Comme Jeanne, tout heureuse, s'en allait au jardin, Nanette se mit à rire.

- Elle me regarde comme si j'étais simple d'esprit... Maman sourit à son tour.

- Moi aussi je protestais quand je devais essuyer la vaisselle. Elle ajouta tout bas, comme pour dire un secret:

- En réalité, ça m'était bien égal. Mais il faut bien marmonner pour quelque chose...

- C'est bête, au fond, dit Nanette.

- Oui, dit maman, mais il nous arrive à toutes d'être ainsi.

La vaisselle rangée, maman et Nanette allèrent au salon retrouver le papa. Il s'était déjà installé dans son fauteuil.

- Je sais que tu es grande, dit-il à Nanette, mais je crois bien que tu pourrais encore te glisser à côté de moi.

Bien entendu, elle le pouvait! Il y avait encore beaucoup de place! Jeanne, qui était entrée, dit à son père:

- Mais papa, Nanette n'est pas grande! Elle ne peut même pas encore venir aux cadets!

Papa sourit à son aînée.

- Il y a différentes sortes de grandeur, dit-il. Je ne veux pas précisément dire que Nanette soit âgée, ou haute.

Jeanne parut surprise.

- C'est la seule sorte de grandeur que je connaisse, dit-elle, Papa dit alors gentiment:

- Nanette s'est montrée assez grande pour m'aider à nettoyer les carottes, et pour rendre visite à Daniel. Elle lui a même porté des roses qu'elle avait elle-même cueillies avec le sécateur.

- Elle m'a aidé à faire le repas et à essuyer la vaisselle, quoique ce fût ton tour, dit la maman doucement en s'adressant à Jeanne. Tu ne l'as pas jugée trop petite pour cela.

Jeanne baissa la tête et devint toute rouge.

- Je vois ce que vous voulez dire. C'est moi qui n'ai pas été assez grande. Il faudra que je me surveille...

Papa lança vers maman un tendre sourire.

- On dirait, dit-il, que nos filles grandissent.