Dazee l'Africain


« Quoi que vous demandiez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous demandez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai. » (jean 14:13-14)

Dazee était né sur la côte occidentale de l'Afrique, au nord du Sierra Leone, colonie fondée vers la fin du dix-huitième siècle par quelques Anglais pour procurer un asile aux noirs tirés des griffes des marchands d'esclaves. À ce moment-là, l'esclavage était considéré comme illégal par l'Angleterre qui avait promulgué une loi frappant les trafiquants des peines les plus sévères. Certains capitaines continuaient pourtant, en cachette, ce commerce infâme et il fallut équiper des bateaux pour faire la chasse aux négriers. Mais on ne pouvait rapatrier les noirs libérés, car les voyages au centre de l'Afrique étaient très difficiles, aussi le Gouvernement anglais fonda-t-il la colonie de Sierra Leone où chacun recevait un lopin de terre et les matériaux nécessaires à la construction d'une cabane. À cet endroit s'établirent des missionnaires qui enseignaient aux Africains le chemin du salut.

Bien loin de là, le village natal de Dazee était caché au centre d'une épaisse forêt, au pied d'une chaîne de très hautes montagnes: les monts des Gazelles. La hutte de Dazee ne différait pas des huttes africaines, formées de six gros pieux solidement enfoncés dans le sol, d'autres bâtons plus petits comme parois et les interstices bouchés par des branches entrelacées. Quelques nattes, deux couvertures, un pot de fer, une bouilloire et une petite caisse de vêtements en étaient les seuls meubles.

Au sud de la forêt s'étendait une immense plaine, traversée par un fleuve large et profond que pouvaient remonter des navires d'un fort tonnage.

Dazee ne se souvenait que vaguement de son père: était-ce l'homme de haute taille, au regard ouvert, qu'il voyait parfois en imagination? Personne ne sut jamais ce qu'il était devenu depuis le jour où il s'en était allé pêcher au bord du fleuve. Dazee avait eu encore une petite soeur, morte très jeune. Après la perte de son mari et de sa petite fille, la pauvre mère ne vivait que pour Dazee. Assise au seuil de sa hutte après le coucher du soleil, elle attirait son petit garçon tout près d'elle et lui racontait des histoires du temps passé qu'elle tenait de ses parents ou des vieillards de la tribu. Quand la petite soeur qui dormait dans les bras de sa mère disparut, Dazee prit sa place et la garda jusqu'à ce qu'il devint trop grand. Alors il s'étendait de tout son long sur la natte à côté de sa mère et posait sa tête frisée sur ses genoux. Ainsi s'écoulèrent plusieurs années et Dazee devait avoir près de quatorze ans.

Un jour que le garçon était occupé à recueillir du sagou (Sorte de fécule extraite de la moelle du sagoutier) au bord du fleuve, il fut surpris par une troupe d'hommes dont le teint clair et les vêtements étranges l'étonnèrent. Ils avaient remonté le fleuve sur un bateau et avaient abordé pour explorer le voisinage. Voyant Dazee tout seul, éloigné de toute habitation, ils se saisirent de lui et l'attachèrent malgré ses cris et ses protestations. Ensuite ils le traînèrent à bord de leur bateau. Le pauvre enfant fut si épouvanté qu'il ne pouvait que pleurer et gémir. Il supplia ses ravisseurs de lui permettre de prendre au moins congé de sa mère.

- « Je sais que vous êtes des marchands d'esclaves et que vous m'emmenez loin de mon pays. Laissez-moi dire adieu à ma mère », disait-il dans son dialecte. En vain suppliait-il en se tordant les mains. Personne ne le comprenait et personne ne l'écoutait. Ils jetèrent Dazee au fond de la cale avec trois ou quatre autres noirs aussi misérables que lui.

Quelques heures après, un des gardiens porteur d'un peu de nourriture trouva Dazee évanoui par manque d'air. On le porta sur le pont et quand il revint à lui, il constata que le bateau descendait rapidement le fleuve, s'éloignant de son village. Ses yeux fixés sur l'horizon voyaient la ligne toujours plus floue des monts des Gazelles. Tout à coup il chercha à se précipiter dans le fleuve, mais au moment où il prenait son élan, un homme d'équipage le saisit par le bras et le força brutalement à s'agenouiller, en proférant de terribles imprécations. On le jeta de nouveau au fond du bateau où il resta quatre jours et quatre nuits. Quand il fut ramené sur le pont, il ne reconnut plus ses montagnes ni sa forêt natale. À l'Est, au Nord et au Sud s'étendait un désert sablonneux et aride, à l'Ouest l'Océan Atlantique. Non loin du rivage, un vaisseau se balançait sur son ancre; Dazee comprit que ce navire devait le conduire dans un pays d'esclavage. Il se mit à pleurer et à appeler sa mère jusqu'à ce qu'un matelot au coeur endurci le frappât sur la bouche. Le visage de l'homme avait une telle expression de cruauté que le garçon, plongé dans un profond désespoir, se retira dans un coin de l'entrepont pour attendre les événements. Après un repas de riz froid, mal cuit, il se coucha dans son coin; il ne connaissait pas Dieu et ne savait pas où trouver aide et consolation. Enfin, rompu de fatigue, il tomba dans un sommeil agité.

Le lendemain matin, de très bonne heure, les prisonniers furent transférés à bord du navire des négriers, déjà tellement encombré qu'ils eurent de la peine à trouver de la place. Là, dans des cachots, au fond de la cale, sans air et sans lumière, dans une odeur insupportable, privés de nourriture suffisante, ils durent subir trois semaines de supplice. Dazee, malade, délirait. Enfin, il plut à Dieu d'arrêter sa fièvre et il reçut la permission de respirer sur le pont le bon air de l'océan.

Pourtant un jour, le capitaine et son équipage, effrayés, voient approcher un autre bâtiment. Les esclaves sont placés en lieu sûr, enchaînés, hors de vue. Le capitaine ordonne de hisser toutes les voiles. Le vacarme devient bientôt effrayant au-dessus des malheureux enfermés. On entend courir sur le pont, une forte détonation, une fusillade, des appels ... les prisonniers ne peuvent briser leurs chaînes. Mais tout à coup quelqu'un ouvre les écoutilles et une voix s'adresse à eux dans une langue familière à beaucoup d'entre eux:

- « Mes amis, vous pouvez remercier Dieu! Vous êtes libres! » La bonne nouvelle est bientôt comprise de tous et c'est le délire, l'allégresse générale. Un navire équipé pour la chasse aux négriers venait de se rendre maître du bâtiment transportant les pauvres Africains. On met les chaînes des esclaves aux membres de l'équipage du bateau négrier et les deux navires reprennent la direction de l'Afrique.

Avec les nouveaux venus se trouvait un missionnaire nommé Wilson, qui se rendait en Afrique pour consacrer sa vie au service du Seigneur parmi les païens. Remarquant l'air souffreteux de Dazee, il demanda la faveur de le transférer sur l'autre navire, dans sa propre cabine, afin de le soigner. Quand le garçon comprit le projet de son nouveau protecteur, il mit sans hésiter sa main dans la sienne et le suivit joyeusement. Mr. Wilson fit prendre un bain à son protégé, lui procura des vêtements propres et lui installa une couchette dans un coin de sa cabine où Dazee ne tarda pas à s'endormir d'un long sommeil réparateur. À son réveil, il eut peine à réaliser ce qui lui était arrivé en se retrouvant dans une cabine bien éclairée contenant beaucoup d'objets inconnus de lui. Bientôt Mr. Wilson lui apporta de l'eau fraîche et quelques biscuits. Par gestes, il réussit à faire comprendre à Dazee qu'il devait ces bonnes choses à Celui qui est dans le ciel. Pendant ces deux semaines de voyage, le missionnaire s'efforça d'instruire le jeune noir, grâce à la coopération d'un homme d'équipage qui savait à la fois l'anglais et le dialecte de Dazee et qui put servir d'interprète.

Mr. Wilson apprit l'histoire de Dazee et lui parla du grand amour du Seigneur Jésus pour les hommes coupables et perdus. Pour la première fois de sa vie Dazee entra en contact avec l'évangile de la grâce de Dieu. Avec quelle avidité le garçon buvait ces paroles! Mais il répétait souvent: « Oh ma mère! Si seulement tu étais avec moi pour entendre ces choses! » Mais comment essayer de la retrouver si loin du Mont des Gazelles sans s'exposer de nouveau aux pires dangers? D'ailleurs elle aussi avait probablement été capturée par les négriers.

Quand le bateau jeta l'ancre dans le port de Sierra Leone, l'étonnement de Dazee ne connut pas de bornes à la vue de la ville avec ses rues, ses maisons, ses magasins; il accompagnait partout celui qu'il appelait Massa (Maître). Après un court séjour à Sierra Leone, Mr. Wilson partit dans une station missionnaire de l'intérieur, qui comprenait écoles, salle de réunions et dispensaire. Dazee fut placé dans l'école de garçons, mais il se passa bien des mois avant qu'il comprenne l'anglais, langue dans laquelle toutes les leçons étaient données. Pourtant, au bout de deux ans, il lisait et écrivait correctement, chantait fort bien de nombreux cantiques et récitait couramment des chapitres entiers des Saintes Écritures. De plus, il avait acquis des notions de mécanique et d'agriculture. Pendant toute la durée de son temps d'école, il s'était distingué par sa conduite irréprochable et son application constante. Maintenant, à l'âge de seize ou dix-sept ans, il allait recevoir un terrain pour y bâtir sa maison et y cultiver son jardin.

À cette occasion, Mr. Wilson lui rappela tout ce que le Seigneur avait fait pour lui d'une manière si merveilleuse. Mais Dazee se mit à pleurer:

- « O Massa, ma pauvre mère, elle n'a jamais entendu parler du Seigneur Jésus! Elle mourra dans ses péchés!

- Prie beaucoup pour elle, mon enfant, le Seigneur est tout puissant, il aura pitié d'elle aussi.

- Oui Massa, moi prier, moi prier beaucoup. »

Le désespoir de Dazee était si grand que Mr. Wilson ne savait comment le consoler. Alors il ouvrit son Nouveau Testament au cinquième chapitre de la première épître de Jean et lui lut les versets 14 et 15, en lui recommandant de les relire lui-même plusieurs fois: « Et c'est ici la CONFIANCE que nous avons en lui, que si nous demandons quelque chose selon sa volonté, IL NOUS ÉCOUTE; et si NOUS SAVONS qu'il nous écoute, quoi que ce soit que nous demandions, NOUS SAVONS que NOUS AVONS les choses que nous lui avons demandées. » Dazee se mit à genoux et supplia le Seigneur d'intervenir en faveur de sa maman et de l'amener à la connaissance du salut par Jésus Christ.

Peu à peu il aménagea la petite propriété: à l'extrémité du jardin il éleva une hutte semblable à celle où il avait passé ses quatorze premières années, il l'entoura d'arbres touffus et plaça à l'intérieur une natte et quelques objets que sa mère utilisait: c'était la hutte souvenir. Puis il construisit sa maison en planches sciées et bien unies entre elles, tailla quelques meubles. Il se mit à cultiver son jardin qu'il avait entouré d'une solide palissade.

Malgré ses occupations absorbantes, il pensait sans cesse à sa mère et souvent, au milieu de son travail, se mettait à genoux pour prier pour elle. Il assistait à toutes les réunions, mais il restait triste et inquiet.

Son agitation croissait chaque fois qu'un nouveau convoi d'esclaves libérés arrivait à Sierra Leone. Y avait-il des femmes parmi eux? Alors il courait au port, espérant recueillir quelques renseignements concernant sa mère.

Mais il revenait chaque fois plus abattu. On le surprenait, à l'écart, dans la forêt ou au bord du fleuve, priant à haute voix pour sa maman. Quatre ans s'étaient écoulés depuis le jour où Dazee avait été arraché à son village natal. Il était devenu un jeune homme de forte carrure, qui avait su gagner l'affection de tous. Et il s'était réellement tourné des idoles vers Dieu qui l'avait tiré des ténèbres jusqu'à sa merveilleuse lumière. Peu à peu Dazee cessa de s'informer de l'arrivée des bateaux: il apprenait à rejeter son fardeau d'inquiétudes sur le Seigneur. Un soir qu'il travaillait dans son jardin, un de ses voisins l'informa, en passant, de l'arrivée d'un nouveau convoi. Ces malheureux avaient été délivrés de la cale d'un négrier et amenés chez le missionnaire. Dazee jeta aussitôt sa bêche et demanda:

- « Y a-t-il des femmes parmi eux ?

- Une seule, mais elle est vieille et paraît brisée par le chagrin. »

D'un bond, Dazee franchit la palissade et court jusqu'à la maison du missionnaire. Par les portes grandes ouvertes, il pénètre dans le vestibule où quelques amis chrétiens s'occupent des nouveaux arrivés. Les yeux du jeune noir passent rapidement d'un visage à l'autre et finissent par s'arrêter sur une femme âgée, debout au centre du groupe. Il ne sait que penser et s'écrie à haute voix: « Non, non, pas ma mère; celle-ci est trop vieille, beaucoup, beaucoup trop! » Les missionnaires remarquant la présence de Dazee observent la scène.

« Non, pas ma mère... pourtant elle lui ressemble! Peut-être, elle trop pleurer ou bien être très malade! » Tandis que Dazee parle ainsi, il s'avance d'un pas vers la femme... avec une lueur d'espoir. Un pas encore et tout à coup une certitude s'empare de lui, il s'élance vers la vieille femme, il la serre dans ses bras. La femme, tout ahurie, ne semble pas reconnaître son fils; mais peu à peu le son de sa voix, les expressions qu'il emploie réveillent en elle un sentiment endormi... elle chancelle, c'en est trop pour la pauvre mère! Quand elle réalise que le jeune homme qui la tient dans ses bras est son fils perdu depuis longtemps, elle s'évanouit d'émotion. Dazee la porte alors dans la chambre voisine où, après bien des efforts, on arrive à la ranimer. Alors la vieille femme étend ses mains maigres vers son fils et commence à lui parler rapidement en lui montrant un grigri, l'amulette qu'elle porte toujours à son cou, et qui, dit-elle, lui a procuré le bonheur de retrouver son fils.

« Non, dit Dazee, en jetant le grigri dans un coin de la chambre, non, il faut remercier notre Père céleste de tous ses bienfaits. »

Alors Dazee accompagne sa mère jusque chez lui, la porte à cause de sa faiblesse et la dépose sur son lit. Quelle joie est la leur! Que de questions vont maintenant avoir leur réponse! Dazee console la pauvre femme, la rassure, mais elle a bien du mal à croire à son bonheur. Doucement, Dazee commence à lui parler de ce qui fait la joie de sa vie, du merveilleux amour du Seigneur Jésus qui est venu ici-bas souffrir et mourir pour de pauvres pécheurs perdus, éloignés de Dieu. Il lui raconte comment Dieu a répondu à ses prières pour elle, sa mère. Il lui dit aussi son ardent désir de la voir renoncer aux fétiches, aux idoles et à toutes les abominations du paganisme pour servir le Dieu vivant et vrai. Mais la femme en est toute tremblante... elle a peur d'irriter le grand esprit des forêts. Dazee lui apprendra jour après jour qui est le vrai Dieu.

Maintenant la nuit est tombée, c'est l'heure de la réunion de prières, où Dazee a l'habitude de se rendre.

- « Mère, je serai de retour dans une heure.

- Ne t'en va pas, mon fils, supplie-t-elle.

- Tu entendras le chant de nos cantiques. Ce soir je tiens à témoigner devant tous comment Dieu a répondu à mes prières. »

Elle comprend... et peu de temps après le départ de Dazee, elle entend chanter les louanges du vrai Dieu. Une étrange émotion l'envahit, elle sanglote de joie; en elle naît le désir d'en apprendre davantage au sujet du Dieu des chrétiens.

Ce soir-là après la réunion, le missionnaire, s'appuyant sur l'exemple de Dazee et de sa mère, parle de l'importance de la prière:

- « Même si vous ne devez jamais voir sur la terre l'exaucement de vos supplications, priez toujours avec ferveur et persévérance. Vos bien-aimés sont loin de vous, les ténèbres morales les enveloppent et pourtant notre Dieu est puissant pour les sauver. Tous les moyens sont entre ses mains et qui sait si le jour ne viendra pas où, dans le ciel, vous rencontrerez ceux pour lesquels vous aurez prié avec ardeur? »

Et, se tournant vers Dazee, il lui dit qu'il doit maintenant prier pour que sa mère soit amenée à Christ.

Lorsque le jeune homme rentre chez lui, il trouve sa mère endormie et le coeur débordant de joie et de reconnaissance, il déroule sa natte et l'étend sur le sol au pied du lit.

Dazee ne se lassa pas, priant chaque jour et entretenant sa mère de l'amour du Sauveur et du salut gratuit qu'il a acquis à tous ceux qui croient. Au bout de deux ans, il eut l'immense joie de voir sa mère, en recevant le baptême, témoigner ainsi de son désir profond de consacrer au Seigneur Jésus les dernières années de sa vie.

« Car les armes de notre guerre... sont... puissantes par Dieu pour la destruction des forteresses... amenant toute pensée captive à l'obéissance du Christ» (2 Corinthiens 10:4-5).