Les apparences sont trompeuses


Adrien descendit quatre à quatre l'escalier et entra comme un bolide dans la pièce où se tenait sa mère.

- Maman, pourquoi as-tu changé mes noix de place? Je les avais mises tout près de la cheminée pour qu'elles sèchent plus vite. Ne puis-je pas les y remettre maintenant que le grenier est rangé?

- Je savais que tu désirais ce coin pour tes noix, aussi n'y ai-je pas touché. C'est Marie qui a fait la plus grosse partie du travail.

Sans attendre d'autre explication, Adrien bondit chez sa soeur :

- Où as-tu mis mes noix, Marie?

- Tes noix? Il n'y en avait pas. Je me suis même demandé en rangeant le grenier où elles étaient.

- C'est trop fort; et les noix qui sont si rares cette année! Moi qui ai tant travaillé pour les avoir! C'est encore un tour de Jacques.

Mais Jacques n'avait rien vu et comme c'était un jeune homme digne de confiance, personne ne mit sa parole en doute.

- Qui d'autre est allé au grenier, cette semaine?

- Personne, que je sache... C'est-à-dire, si. Grégoire est venu chercher les livres que tu lui avais promis. C'était un jour où j'étais fatiguée. Au lieu de monter avec lui, je lui ai indiqué où ils se trouvaient et il est allé seul les chercher.

- N'était-ce pas mercredi dernier?

- Oui.

- Et n'avait-il pas un petit sac à moitié rempli de quelque chose?

- Oui.

- Es-tu certaine qu'il avait ce sac quand il est venu?

- Non, dit Marie. Mais Adrien, tu ne supposes tout de même pas...

- Sûrement pas. Je ne suppose pas, je sais! Je l'ai vu aussi et il n'avait soi-disant pas le temps de s'arrêter pour parler. C'était vraiment trop facile. Il n'a eu qu'à se servir. Il a trouvé les noix et le sac pour les emporter. C'est honteux, d'autant plus que nous venons de l'admettre sans condition, comme membre de notre Club comme s'il n'était pas le fils du vieux Grégoire...

- Adrien, dit maman avec chagrin, n'as-tu pas honte de soupçonner ton meilleur ami?

- Non maman, je n'ai pas honte, et je vais immédiatement tirer cette affaire au clair avec lui.

Arrivé devant la maison du vieux Grégoire, Adrien rencontra son camarade:

- Es-tu de nouveau allé voler des noix?

Le visage rayonnant de Greg s'assombrit à cette apostrophe, mais il ne répondit rien.

- Tu n'as rien à dire? Tout le monde sait de quoi un Grégoire est capable! Pourtant, je croyais que toi au moins tu faisais exception. Je n'aurais jamais cru que tu pouvais être un voleur.

- Je n'en suis pas un et je n'ai jamais vu tes noix... C'est-à-dire, si, je les ai vues le jour où je suis allé chercher tes livres et...

- Et personne ne les a plus revues depuis. Tu devrais avoir honte! Voler un sac et voler des noix pour le remplir! Je t'ai vu le porter sur tes épaules.

- C'était un demi-sac de pommes de terre que j'étais allé chercher chez Monsieur Barbier. Je l'avais laissé à la porte quand...

- Des mensonges par-dessus le marché. Mais ça ne prend pas. Tu n'as pas besoin de venir jouer avec nous demain. Daniel Meunier prendra ta place. C'est un mauvais joueur, mais au moins il n'est pas voleur...

Et Adrien tourna les talons sans donner à son ami le temps de s'expliquer. Le jour suivant, Greg n'alla pas sur le terrain de jeu et à l'école tous ses camarades, mis au courant par Adrien, refusèrent de lui adresser la parole. Ce furent des moments bien difficiles pour Greg.

La semaine suivante Adrien eut encore l'occasion d'aller ramasser des noix et il en rapporta plein un panier.

- Cette fois, dit-il, j'aime à croire que mes noix resteront où je les mets. Et il les versa au coin de la cheminée.

Le lendemain après-midi, il se rendit à la grange avec son livre. Il s'étendit, la porte grande ouverte, sur un tas de paille, afin de bien profiter du soleil. Soudain, un craquement lui fit lever la tête. Il aperçut, près de la fenêtre du grenier devant laquelle se trouvait un grand ormeau, deux malicieux écureuils tenant chacun une noix dans leur bouche. Ils descendirent lestement le long du tronc et se perdirent dans le verger. Mais ils ne tardèrent pas à revenir et chaque fois ils repartaient avec une noix dans la bouche. Adrien était presque suffisamment renseigné maintenant et ce ne fut que pour la forme qu'il monta au grenier. En effet, ses noix avaient presque toutes disparu. Avec quelle hâte il se dirigea vers la maison de Greg.

Le jeune garçon sortait justement de chez lui à ce moment-là. En voyant son ancien ami, il allait faire demi-tour quand Adrien l'appela:

- Greg ! Greg! je t'en prie, écoute-moi. Je viens à l'instant de découvrir où mes noix sont allées. Ce sont deux écureuils qui ont surpris ma cachette et qui venaient bien tranquillement faire leur provision. Veux-tu me pardonner et oublier tout ce que j'ai dit et fait? Maman et Marie avaient raison. Elles savaient bien que tu n'étais pas coupable et elles me l'ont répété bien des fois. Je vais tout expliquer aux camarades. J'ai honte de moi.

Greg était ce qu'on appelle un chic type, en langage écolier. Il serra la main tendue et tous deux comme autrefois, s'en allèrent retrouver les camarades auxquels Adrien expliqua, en long et en large, le manège des deux écureuils. Adrien s'est bien promis de ne plus juger sur les apparences. « C'est bien trop dangereux », a-t-il dit. C'est aussi mon avis.